L’oreille absolue, mythe ou réalité ?

Qui n’a pas été fasciné par cet élève capable de reconnaître n’importe quelle note ou de la chanter juste à la simple lecture d’une partition ? Chouchou des profs de musique, il nous agaçait un peu, soyons honnêtes, avec sa réponse magique « c’est normal, j’ai l’oreille absolue », qui le classait définitivement parmi les êtres fantastiques avec les licornes, les elfes et les Beatles. Mais est-ce vraiment si exceptionnel, et pourquoi ?

Une faculté rarissime

L’oreille absolue, également connue sous le nom de perception absolue de la hauteur, est la capacité de certaines personnes à identifier, nommer ou reproduire une note de musique donnée sans aucune référence auditive externe — contexte musical, note ou instrument de référence. Cette capacité considérée comme rare se retrouve chez environ une personne sur 10 000.

L’opinion a longtemps considéré l’oreille absolue comme une faculté innée, car on pouvait l’observer chez des musiciens très jeunes, avant même qu’ils aient reçu une formation musicale formelle. On l’imaginait liée tantôt à un « don » indéfini, tantôt plus justement à une disposition physiologique particulière, située pour les uns dans l’oreille interne, pour les autres dans le cerveau.

Oreille absolue ou… cerveau absolu ?

C’est cette dernière hypothèse que confirment aujourd’hui les neurosciences. La recherche a montré que les personnes ayant une oreille absolue ont des différences structurelles et fonctionnelles dans leur cerveau par rapport aux personnes n’ayant pas cette capacité. Les régions du cerveau impliquées dans le traitement des sons et de la musique, telles que le cortex auditif et le cortex frontal, sont plus développées chez ces personnes, qui présentent notamment une plus grande asymétrie du planum temporale.

Inné ou acquis ? Les deux, maestro…

Mais alors, l’oreille absolue serait de l’ordre de l’inné ? Pas vraiment. Aujourd’hui, les scientifiques s’accordent sur le fait que l’oreille absolue est le résultat d’une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux. Des études ont ainsi montré que certaines familles ont une prédisposition génétique à l’oreille absolue : ses membres naissent bien avec statistiquement plus de chance de pouvoir développer cette faculté.

L’exposition précoce à la musique et une formation musicale intensive jouent également un rôle important dans le développement de cette capacité. Les personnes ayant l’oreille absolue ont très souvent commencé leur formation musicale tôt dans la vie, soit entre 3 et 5 ans ou jusqu’à 7 ans. Toutefois, l’oreille absolue ne se développe pas chez tous les musiciens ayant commencé leur formation musicale tôt dans la vie.

De même, l’environnement socioculturel en général joue un rôle majeur : on observe ainsi une plus grande prévalence à l’oreille absolue chez les musiciens issus de cultures à langues à tons comme les langues est-asiatiques, dans lesquelles un même phonème prend une signification différente selon la façon dont il est modulé.

En règle générale, on peut donc dire que l’oreille absolue est la combinaison de compétences auditives supérieures à la moyenne, notamment la perception des sons, la mémoire auditive et l’association des sons aux symboles musicaux, dues en partie à des prédispositions génétiques ou environnementales, et à l’apprentissage.

L’oreille absolue, avantage ou inconvénient ?

Dans le monde de la musique, l’oreille absolue peut être considérée comme un vrai atout, même si elle n’est pas indispensable :  Mozart avait l’oreille absolue, Tchaïkovski non, et Beethoven était déjà sourd à 60% à l’âge de 30 ans. L’oreille absolue permet aux musiciens de jouer plus facilement de manière précise et de transcrire des pièces de musique sans avoir besoin d’une partition, mais aussi de se souvenir des notes qu’ils ont entendues et de les reproduire de mémoire.

Toutefois, l’oreille absolue peut également présenter des défis. D’abord, son omniprésence et son côté irrépressible peuvent être agaçants. Certains possesseurs de l’oreille absolue se plaignent de ne pas profiter pleinement de la musique qu’ils entendent à cause de leur conscience continuelle du nom des notes. D’autre part, les personnes ayant une oreille absolue peuvent être plus sensibles aux sons et aux fausses notes, ce qui peut les distraire ou les déranger quand un décalage entre l’environnement sonore et leur oreille se produit.

Quand l’oreille absolue se trompe

L’environnement peut être en décalage avec l’oreille, mais aussi l’inverse : l’oreille absolue elle-même peut se dérégler. On relève ainsi une corrélation négative entre l’âge et la précision de la reconnaissance des notes chez des personnes possédant l’oreille absolue, avec un décalage généralement vers l’aigu : plus les individus sont âgés, moins ils parviennent à identifier les notes correctement, avec une tendance à percevoir les notes plus aiguës qu’elles ne le sont. Ce dérèglement de l’oreille absolue peut également être causé par un accident, une lésion cérébrale, voire la prise de certains médicaments.