Au Vietnam, des enfants sourds qui jouent du piano

On retrouve Alexandre Durand, audioprothésiste Sonance Audition et mécène Audition Solidarité de retour de mission au Vietnam : une histoire d’enfants sourds profonds, de religieuses et de pianos acoustiques.

Après un baptême du feu il y a trois ans en France, vous revenez de votre deuxième mission avec Audition Solidarité. Comment décririez-vous la situation à votre arrivée ?

J’ai eu une très bonne surprise. Je m’attendais à trouver des enfants très démunis, et de devoir démarrer de zéro. En fait, la grande majorité des enfants étaient déjà appareillés depuis 2015, et notre mission consistait principalement à constater l’évolution des enfants, vérifier la qualité du suivi assuré par les sœurs et compléter leur formation. En tout nous avons du appareiller pour la première fois une vingtaine d’enfants seulement, sur 157 si ma mémoire est bonne.

Quel est le profil des enfants que vous y avez rencontrés ?

Ce sont des élèves d’une école pour enfants sourds, animée par des religieuses catholiques. Ces enfants sont tous atteints de surdité profonde et sont placés dans cette école à l’initiative de leurs parents. Le plus petit devait avoir quatre ans, le plus âgé 18 ans, ce qui donne un âge moyen se situant vers 10 ans.

Qu’est-ce qui explique cette réussite que vous avez constatée ?

Les équipes sur places  sont très autonomes, et le suivi des enfants est très bien géré. Cela tient à l’efficacité du système mis en place par Audition Solidarité, mais aussi de l’engagement des sœurs pour ces enfants. Je salue leur dévouement et leur capacité à s’adapter, à acquérir des compétences pour se transformer quasiment en audioprothésistes de terrain ! Elles avaient parfaitement préparé notre venue, en revoyant tous les enfants, en changeant les appareils si nécessaire.

Quel est le rôle d’Audition Solidarité dans cette organisation ?

Le protocole Audition Solidarité est désormais bien rôdé. Quand l’association met en place une mission, ils se déplacent une première fois pour lancer l’opération, puis reviennent trois années de suite pour assurer le suivi des patients et la formation des personnes qui les encadrent pour les rendre autonomes. Par la suite, ils reviennent tous les deux ans pour voir si tout va bien. Dans le cas de la mission à Bien Hoa, créée en 2015, les visites ont eu lieu comme prévu, jusqu’à la crise Covid qui a perturbé l’organisation.

Cette interruption due au Covid a-t-elle créé des difficultés particulières ?

Pas vraiment. La seule vraie difficulté tient au fait de la rotation des religieuses : certaines sœurs qui étaient formées avaient été déplacées sur d’autres missions ou d’autres pays. Mais comme elles sont très solidaires, elles parviennent à se transmettre l’information, l’expérience de chaque enfant, et les compétences.

Quel aura été votre rôle durant cette mission ?

Nous sommes venus essentiellement faire du perfectionnement, renforcer les connaissances des équipes sur place et conforter leur savoir-faire en l’approfondissant. Les sœurs s’occupaient de tout : ordinateurs, prise d’empreintes, fabrication des embouts auriculaires, sous la supervision du fabricant membre de la mission. De même pour les réglages, l’audiométrie et les tests d’audition, elles faisaient tout toutes seules.

Nous étions là pour leur faire découvrir de nouvelles fonctionnalités sur les logiciels, de nouvelles approches, ou leur faire acquérir de bons réflexes. Également pour leur montrer comment contrôler le bon fonctionnement et les réglages des appareils, et mesurer leur apport pour les enfants appareillés.

Sent-on un progrès chez les enfants ? Comment s’approprient-ils la découverte de leur audition et l’appareillage ?

Ces enfants s’expriment beaucoup en langue des signes, mais grâce aux appareils, ils vocalisent de plus en plus. Les sœurs sont formées à l’orthophonie pour aider les enfants à vocaliser, qu’ils prennent conscience de leur voix et qu’ils se dirigent vers la production vocale et non seulement vers le signe.

Que retiendrez-vous de plus marquant de cette mission ?

La dimension musicale est très importante chez Audition Solidarité.
L’association a pu offrir trois pianos acoustiques à l’école, financés par le mécénat. L’école disposait déjà de claviers électroniques, sur les quels les enfants avaient appris une mélodie pour nous la jouer à notre arrivée. Mais jouer sur des pianos acoustiques est une expérience différente, avec une sonorité beaucoup plus profonde dans les graves, les fréquences qu’ils entendent le mieux avec leur appareillage. On a vu leurs sourires, c’est un moment magique… Imaginez des enfants de 10 ans nés pour ne jamais entendre et qui, grâce à Audition Solidarité, peuvent entendre, apprendre la musique et jouer du piano !

Est-ce  que c’est une expérience que vous partagez avec vos patients ?

Bien sûr ; ils me demandent comment s’est déroulé la mission. J’en discute facilement. Certains patients m’avaient d’ailleurs donné du matériel pour l’emporter en mission comme des jouets, des fournitures scolaires, que nous avons pu distribuer aux enfants. Cela permet aussi de les sensibiliser à l’autre dimension des actions d’Audition Solidarité en faveur du recyclage des appareils auditifs.

Cette dimension recyclage est-elle importante à vos yeux ?

Elle est cruciale car un vrai problème va se poser à moyen terme : les nouveaux appareils plus discrets, plus performants, ne sont pas aussi facilement recyclable et réutilisables que les anciens contours d’oreille. Mais nous réorientons la collecte vers les hôpitaux, où les patients qui se font poser un implant cochléaire abandonnent leurs appareils contours d’oreille, qui sot en mesure de corriger des surdités profondes. Audition Solidarité saura faire face à ce nouveau défi.